|
Edmund Dulac à son bureau de travail en 1952 |
L'arrivée sur nos rayons de deux ouvrages illustrés par Edmund (ou Edmond) Dulac me donne l'occasion de revenir ici sur un artiste de talent relativement peu connu en France si ce n'est des....philatélistes.
Ces deux ouvrages :
Contes des mille et une nuits et
Princesse Badourah sont disponibles sur notre site en suivant ce
lien
En effet, malgré une production abondante dans le domaine de l'illustration, son nom reste moins connu que son exact contemporain Arthur Rackham.
Edmund Dulac est d'abord né Edmond car cet illustrateur d'"Illustrated gift book" - livre de présent illustré- une spécialité anglaise au même titre que le "Christmas Pudding", est tout ce qu'il y a de plus français. Né à Toulouse en 1882, il y poursuit ses études de droit (pour faire plaisir à papa) tout en suivant les cours des beaux-arts jusqu'en 1900. A partir d'octobre de cette année il abandonne son droit pour ne plus se consacrer qu'à l'art. En 1903, suite à une petite bourse obtenue avec une seconde place lors d'un prix de peinture, le prix Suau, il part pour Paris poursuivre ses études d'Art. Mais l'Académie Julian, sous la férule du peintre académique Jean-Paul Laurens, le déçoit vite. C'est à cette période qu'il commence à se passionner pour l'Angleterre et ses dandys, apprend la langue de Shakespeare et anglicise son prénom en Edmund.
Fin 1904, il part pour l'Angleterre.
Dès 1905, il obtient son premier contrat d'illustrateur avec l'éditeur J.M. Dent, pour illustrer de 60 planches les 10 volumes des œuvres complètes des sœurs Brontë. Fort de ce premier succès, les portes du Pall Mall Magazine pour lequel collabore Arthur Rackham, lui sont ouvertes.
En 1907, par l'intermédiaire des Leicester Galleries alors dirigées par Ernest Brown & Philipps, grandes galeries présentant régulièrement à la vente les planches originales des illustrateurs à succès comme Rackham, il obtient un contrat d'exclusivité avec l'éditeur Hodder & Stoughton. Le premier ouvrage dont on lui demande l'illustration sera "Stories from the Arabian nights", dont le but avoué est de concurrencer "Peter Pan dans les jardin de Kensington", illustré par un certain...Rackham.
L'éditeur Piazza achète les droits pour la France dès la publication en Angleterre, opération que renouvellera l'éditeur français pour de nombreux autres titres.
En 1908, pour le même éditeur, il illustre
La Tempête de Shakespeare tandis que chez Heinemann, son concurrent, est publié
Le Songe d'une nuit d'été par Rackham.
|
La Tempête 1908 |
|
La Tempête 1908 |
L'année suivante, il revient à son Orient de rêve pour les
Rubáiyát d'Omar Khayyám en proposant 20 planches d'une lumineuse douceur.
|
Rubáiyát d'Omar Khayyám 1909 |
A titre personnel, 1909 marque sa rencontre avec Elsa Arnalice Bignardi qui devient son épouse en 1911 (il s'était déjà marié une première fois de manière éphémère à une américaine en 1903).
Les illustrations les plus célèbres de Dulac voient le jour en 1911 avec la publication des
Contes d'Andersen. En 1912, il devient l'un des dessinateurs de Gift books, les plus connus et les mieux payés. Le 17 février, il est naturalisé britannique.
|
La petite sirène 1911 |
Il renoue en 1914 avec la lumière de l'Orient et un nouveau conte des mille et une nuits :
La Princesse Badourah. Fortement influencée par la miniature chinoise et persane, la peinture de Dulac se veut moins figurative, plus décorative, dans ses fonds afin de faire ressortir davantage les figures. Les personnages évoluent dans une atmosphère de rêve, impalpable : Un orient de rêve, tout en lumières, en scintillements d'or et de pierres.
|
Princesse Badourah 1914 |
|
Princesse Badourah 1914 |
A l'automne 1913, invité par l'un de ses mécènes, Edmund Davis, il effectue une croisière d'un mois et demi en Méditerranée, croisant la Corse, Corfou, la Sicile, la Grèce dont il visite Delphes et Athènes, revenant par Tunis. Ce voyage lui est une révélation, une véritable initiation aux couleurs et à la lumière orientale qui jusqu'alors n'avaient été qu'imaginées. Cette lumineuse épiphanie se retrouve dans ses illustrations du
Sindbad le marin, publié en 1914.
|
Sindbad le marin 1914 |
La première guerre mondiale arrive et Dulac met son talent au service de la Croix Rouge Française qui a un comité à Londres. Il dessine un timbre au profit de la Croix rouge et fait publier à ses frais un ouvrage reprenant des illustrations déjà utilisées pour d'autres livres :
Edmund's Dulac picture book for the French Red Cross. Malheureusement le prix de cet ouvrage étant très bas, les droits perçus sont très faibles. La production des très beaux ouvrages entièrement illustrés par Dulac se ralentit de fait pendant cette période de guerre. Celui-ci poursuit néanmoins ses activités en réalisant des caricatures ou des affiches. Il illustre également quelques contes. Le conflit s'enlisant, Dulac et sa femme sombrent dans des épisodes de dépression. "Je n'ai rien de bien heureux à te dire. Le bon temps est derrière nous" écrit-il à un ami.
Les Leicester Galleries lui proposent en 1916 de réaliser des illustrations pour des contes russes dont les originaux seront vendus dans ces galeries. Craignant la monotonie du sujet, Dulac étend la proposition aux nations alliées et illustre des contes russes mais aussi Japonais, Anglais, Hollandais, Français, Irlandais, Serbes, Italiens qui seront publiés par Hodder & Stoughton. Ainsi naissent les
Contes des nations alliées ("
Edmund's Dulac Fairy Book, Fairy Tales of the the allied nations") dont Piazza publie la version française dès 1917.
|
Contes des nations alliées 1917 |
|
Contes des nations alliées 1917 |
|
Contes des nations alliées 1917 |
C'est durant cette période de "vaches maigres" éditoriale qu'il fait une rencontre de premier plan : sollicité pour la réalisation de décors et de costumes de théâtre, il entre en relation avec W.B. Yeats, alors le plus important auteur de langue anglaise. Cette première rencontre l'amène à faire la connaissance d'Ezra Pound ou Charles Ricketts. Une pièce de Yeats avec décors et costumes de Dulac étant montée à New York, Martin Birdaum, marchand d'art américain en profite pour organiser la première exposition consacrée à Dulac outre-Atlantique en novembre 1916.
Pendant ces années de guerre, il réalise un certain nombre de portraits mondains lui permettant de survivre financièrement, les éditeurs étant restreints par l'approvisionnement en papier et les risques de bombardements sur Londres. Il collabore également à la revue The Outlook, fournissant de nombreuses caricatures. Sa femme s'enfonçant toujours plus dans la dépression et face aux risques bien réels de la vie londonienne, il accepte la proposition de son ami et mécène Edmund Davis de venir vivre dans l'une de ses demeures dans le Surrey, un comté dans le sud ouest de Londres. Il se rapproche ainsi de son ami Yeats et de son compatriote Jean de Bosschère.
Influencé par son voyage en Grèce, par la montée de l'esthétique Art Déco et sans doute également par les rigueurs de la guerre, le trait de Dulac se fait plus incisif. Ainsi, publié en 1918 par son éditeur habituel, paraît
Tanglewood Tales de Nathaniel Hawthorne, repris en France chez Piazza sous le titre de
La Toison d'or, contes de la Grèce ancienne, avec une adaptation de Charles Guyot.
|
Tanglewood Tales 1918 |
La paix enfin revenue, le monde a changé ; les goûts et les lecteurs aussi. Le temps des somptueux Gift books est terminé et
Au royaume de la perle de Léon Rosenthal, d'abord publié en France se vend finalement assez difficilement en Angleterre, édité cette fois par James Nisbet et non ses éditeurs habituels.
|
Au royaume de la perle 1920 |
Séparé de sa femme à partir de 1923 et vivant avec une nouvelle compagne, Helen Beauclerk, mélomane, musicienne ayant suivi les cours du Conservatoire à Paris et auteure de roman, il consacre l'essentiel de ses activités aux arts décoratifs, créant affiches, décors, costumes. Féru de musique exotique et lui-même musicien, il aurait suggéré quelques thèmes extrême-orientaux à Puccini pour Turandot lors de leur rencontre en 1920.
Au cours des années 20 et 30, son travail d'illustrateur se fait ponctuel au profit de travaux relevant d'avantage du Design. Il collabore à peu près régulièrement avec l'American Weekly, journal américain qui lui permet d'avoir des revenus réguliers.
En France, son nom reste lié à la philatélie car dès 1940, les services du Général de Gaulle lui demandent de dessiner des timbres pour les territoires non occupés et les zones libres. Sa Marianne au bonnet phrygien date de 1942 et sera reprise en 1944.
Si ce n'est quelques commandes d'illustrations, assez secondaires tant sur le plan de la quantité que de la qualité (On notera tout de même une édition illustrée de
l'île au trésor), Dulac ne fera plus guère d'ouvrages illustrés abondamment.
Il meurt à 70 ans en 1953, à Londres, après avoir dansé sur un air de Flamenco.
Cette esquisse biographique très lacunaire a été rédigée à l'aide de l'ouvrage de Pierre Nouilhan "Edmund Dulac 1882-1953 de Toulouse à Londres" Editions du Rouergue 2008