vendredi 20 septembre 2013

Le cartonnage blanc et or du Paul et Virginie de Curmer


Le "Paul et Virginie de Curmer", voilà un ouvrage qui a fait et, souhaitons le, fera encore longtemps la joie de nombreux bibliophiles.


Cet ouvrage dont on ne présente plus la richesse des illustrations gravées sur bois (plus de 450 bois in-texte et 29 planches hors-texte) ou la somptuosité typographique a connu maint habillages de la part de son éditeur Léon Curmer : demi ou pleine reliure en basane, chagrin, maroquin, cuir de Russie. Une reliure spéciale dite à l'orientale réalisée par Simier, relieur du Roi existe en demi et plein chagrin.


Reliure orientale de Simier en plein chagrin
L'exemplaire que nous proposons aujourd'hui se trouve être dans l'une sinon la condition la plus rare.
Il s'agit d'un cartonnage éditeur revêtue de la couverture glacée blanche imprimée or dont on ne connait que 4 ou 5 exemplaires.

Selon Carteret, “elle était destinée à recouvrir les exemplaires de présent, cartonnés dans cette couverture, pour le jour de l’an 1838 ”.
Vicaire et Carteret ne l'ont vu, insérée en reliure, que dans un exemplaire de Descamps-Scrive.

Curmer qui s'était constitué plusieurs exemplaires truffés (au moins 2, l'un sur Chine, l'autre sur vélin) n'avait pas cette couverture.

L'exemplaire exceptionnel de Maurice Escoffier, si enrichi d'états ""qu'il a été nécessaire d'en faire trois volumes"" ne la contenait pas non plus. Nous ne connaissons que deux autres exemplaires dans ce cartonnage dont l'un d'entre eux faisait partie de la collection Tristan Bernard.


Bernardin de Saint-Pierre Jacques-Henri

Paul et Virginie suivi de la Chaumière indienne

L. Curmer, 49 rue de Richelieu"Paris, 1838, fort in-8 cartonnage éditeur plein papier glacé blanc imprimé or au quadrillage et au motif de femme indienne au centre des plats, dos richement orné portant la simple mention ""Paul et Virginie"" Toutes tranches dorées. Chemise dos de maroquin à long grain bleu foncé, étui bordé de même cuir.

1f.Faux-titre (au verso vignette gravée ""Par les soins de Curmer""et ""Typographie et fonderie A. Everat"" / Portrait de Bernardin de Saint-Pierre par Lafitte gravé sur acier par Pelée ""à la sphère"" / 1f. titre gravé sur Chine (serpente blanche non légendée) / 1f. titre avec portrait de Curmer et Everat en médaillons à l'adresse ""49 rue de Richelieu /1f. dédicace ""Aux artistes"" / 1f. notice historique verso blanc / IX-LIIpp./ 1f. faux-titre /LV-LVI Avant-propos / Carte couleurs de L'Ile de France / -458pp.-1f. Illustré de table des matières / 5ff.non ch. (table des noms des dessinateurs et des graveurs) / 1f. table des grandes vignettes. La Chaumière Indienne occupe les pp.321 à 418 ; La Flore occupe les pp.[419] à 458.


L'illustration comprend plus de 450 bois gravés dans le texte, 29 planches gravées sur bois hors-texte tirés sur Chine appliqué sur vélin fort (d'après Huet, Meissonier, Johannot, Français, Isabey etc.), 2 portraits gravés sur acier hors-texte (les 5 autres sont joints) et une carte en couleurs. Contrairement aux indications de Carteret, les serpentes légendées de notre exemplaire ne sont pas roses mais blanches.

La feuille 25 contient bien des indications de 1er tirage que donne Vicaire mais également d'autres erreurs typographiques qui laissent penser à un état antérieur au premier état décrit. Ainsi, p.194, la première ligne débute par une parenthèse à l'envers. Même page, ligne 7, on peut lire ""ginie à son départ ; mais, comme il croit vite, deux"" alors que dans le 1er état décrit, le mot ""deux"" est renvoyé à la ligne et dans le carton, le renvoi se fait après le mot ""croit"". Les autres indications de premier tirage ne s'appliquent pas à notre exemplaire.
Les portraits sur acier n'ont pas été reliés dans notre exemplaire exception faite de ceux de Bernardin de Saint Pierre et du Docteur (gravure anglaise). Dans une seconde chemise, identique à celle protégeant le volume, on trouve les 5 portraits non reliés, la figure du Docteur par Meissonnier ainsi qu'une préface en premier tirage, à l'adresse de la rue Sainte-Anne.

Exemplaire dans un cartonnage éditeur DE TOUTE RARETÉ parfaitement exempt de rousseur, condition rarissime mais il semble que cet exemplaire ait été lavé. 
Carteret III-532 et suivantes / Vicaire VII-42 et suivantes."
VENDU

samedi 14 septembre 2013

Pierre Bonnard illustrateur...du Petit solfège de Claude Terrasse

Autoportrait de Pierre Bonnard en 1889
Est-il utile de rappeler ici l'importance artistique de Pierre Bonnard (1867-1947) et de son œuvre ?
Pour mémoire,  il est avec Vuillard, Ker-Xavier Roussel et Sérusier l'un des fondateurs du groupe des Nabis (1888-1900), groupes d'artistes postimpressionnistes revendiquant  le rôle "sacré" de l’œuvre d'art, donnant  la primauté à la couleur et la lumière, fut-elle toute spirituelle. Les œuvres de ce groupe, et celles de Bonnard en particulier, furent influencées par la (re)découverte des artistes japonais privilégiant les aplats en faisant fi de la perspective ainsi que par les travaux de Van Gogh et Gauguin. 
Le Talisman de Paul Sérusier, œuvre emblématique des Nabis, 1888
Voilà (en allant très vite) pour la grande Histoire de l'art.

En 1890, Andrée, la sœur de Pierre Bonnard, épouse Claude Terrasse, compositeur, alors simple professeur de musique et d'harmonie à Arcachon. De ce mariage naît une heureuse collaboration entre les deux artistes. Deux ouvrages paraissent à quelques mois intervalle en  1893 : Le Petit Solfège illustré puis Les petites scènes familières, recueils destinés à l'apprentissage de la musique par les plus jeunes.


Nous proposons actuellement à la vente un très bel exemplaire du 

Petit Solfège illustré, par Pierre Bonnard
Ancienne maison Quantin.
Paris, 1893 (mention de deuxième mille), cartonnage in-4 (29x21cm) à l'italienne, 1f. De titre-30pp. Plats du cartonnage et ensemble des pages illustrés de lithographies originales de Pierre Bonnard en noir sur fond de couleurs. Édition originale dont il fut fait deux tirages, celui-ci en deuxième tirage portant le cachet des éditions Schott sur la page de titre. Il s'agit du premier livre illustré par Pierre Bonnard (1867-1947), fortement influencé par l'estampe japonaise.
VENDU

Pour plus d'informations sur Pierre Bonnard
http://www.museebonnard.fr/pierre-bonnard/biographie
ou sur Claude Terrasse  http://www.claudeterrasse.net/

mercredi 4 septembre 2013

"Sauvez Venise !" par Jean Lorrain


"Venise" aquarelle de Gustave Moreau

Lettre à Octave Uzanne, Venise, ce samedi 1er Octobre 1898
"Si j'aime Venise...mon cher ami ? Mais c'est à dire que c'est la Ville élue, que c'est ma Ville. [...] Venise est la plus intense, la plus grande émotion de ma vie. [...]"

En octobre, 1898, Jean Lorrain séjourne pour la première fois à Venise au cours d'un voyage qui l'aura mené en Allemagne, en Suisse puis dans le nord de l'Italie après un court passage à Marseille. Sur les conseils de son ami Octave Uzanne (l'un de ses témoins lors de son duel contre Marcel Proust le 6 février 1897), il se rend donc à Venise et y reçoit un un choc émotionnel et artistique sans précédent : Venise est SA ville. Entre 1898 et sa mort en 1906, il n'y séjournera pas moins de quatre fois (octobre 1898 / septembre 1900 / Octobre 1901 / Octobre 1904).
Voyageant seul ou accompagné de sa mère (mais logés séparément) il y fuit Paris, "la ville empoisonnée" et ses automobiles... 

Henri de Régnier
Octave Uzanne


Lors de son premier séjour, il y rencontre Henri de Régnier, autre thuriféraire de la cité des doge. En 1901 il y fera la connaissance du comte Adelsward-Fersen, rencontre fortuite qui lui causera bien des ennuis lors du scandale du procès de celui-ci en 1903. Ce dernier avait en effet déclaré devant la cour d'assise s'être quelque peu inspiré des œuvres de Lorrain pour organiser ses "tableaux vivants" dans le goût grec...

Jacques Adelsward-Fersen
Les 1er et 15 avril 1905, il offre au public, dans les colonnes de la Revue Illustrée, un long chant d'amour à sa ville élue. Ce texte intitulé "Venise" sera repris en 1921 dans "Voyages", recueil collectif publié par Georges Normandy et illustré par André Deslignières chez Edouard Joseph, collection l'Edition Originale. Ce même texte fait l'objet d'une édition séparée sous la direction d'Eric Walbeck aux éditions La Bibliothèque, collection L'écrivain voyageur (Paris 1998).

Quelques semaine plus tôt, sur un ton nettement plus nostalgique, il avait donné aux lecteurs de Je Sais Tout, "Sauvez Venise" dont certains passages seront repris et développés dans le texte de la Revue Illustrée.

Je sais tout

1ère Année N°II 15 mars 1905



Sauvez Venise !


Par Jean Lorrain

L’Art pousse un cri d’alarme. Venise, une des plus magnifiques cité du monde, est-elle condamnée à disparaître, effritée par la vieillesse ? Les fresques se crevassent, les dalles se disjoignent, les monuments, illustres infirmes, ont besoin d’échafaudages. Sauvons Venise !



A la voix musicale et lointaine des cloches,

Suivre au ras d’une eau grise et lourde, où fume encore

Immobile incendie, une Venise en or,

Le bateau de Trieste et ses lentes approches !...



La splendeur d’un passé de gloire et d’aventures

Surgit avec la nuit des canaux et du port.

Un horizon de flamme embrase les mâtures,

Des campaniles d’ambre allument un ciel mort :



La lagune où s’effile un vol noir de gondoles,

Agonise, s’éteint : deux ombres, deux coupoles :

La Salute encor claire et San Giogia Maggior



La ville flotte au loin, immense gemme éclose

Au ras des flots nacrés d’un soir d’apothéose !

Venise, ô perle blonde, ô fabuleux décor !



Eh bien ! le fabuleux décor est menacé. Cette invraisemblable et chimérique éclosion de clochers, de campaniles, de dômes et de palais, qu’est Venise apparue, tel un gigantesque madrépore, au dessus de ses lagunes et de ses canaux, cette floraison de métal et de marbre jaillie entre le ciel et l’eau, cette vision vertigineuse et calme de la gloire des siècles prolongée et figée entre des reflets de nuages et des nuées de soies nuancés par tous les frissons de la mer, cette Ville de l’eau, qui est bien plus encore un immense palais qu’une ville (car ses places dallées de marbre, ses rues étroites également pavées de surfaces lisses et planes, à chaque instant coupées de degrés d’escaliers et d’arches de ponts, font de Venise un hallucinant et colossal palais de Palladio), cette Venise si belle que les gondoliers avec la sûreté des métaphores populaires disent couramment en la vantant aux étrangers : Venezia, regina del mare ei sorella della luna, Venise, reine de la mer et sœur de la lune, cette courtisane de l’Adriatique, que M. Maurice Barrès veut voir à l’agonie et que la sensualité italienne d’un d’Annunzio compare à l’intérieur flambant et gemmé d’une grenade trop mûre, éclatant de partout d’un sang généreux, cette Venise que Tiepolo a peinte sous les traits d’une dogaresse accueillant, nonchalamment couchée, l’offrande des poissons et des coquillages d’un Neptune asservi, toute cette beauté, tous ces souvenirs, toutes cette merveilles de la légende et de l’histoire, toute cette nostalgie d’un passé gardé presque intact jusqu’à nous, cet incomparable trésor des siècles et cette chose unique au monde, une ville qui depuis cinq cents ans n’a pas bougée, (les vieux lions de Saint Marc, peints sur bois du palais ducal, nous montre la riva des shiovani, le palais des Doges et la piazzetta, tels qu’ils sont encore aujourd’hui, et ces peintures datent de 1100), eh bien, tout cela, si l’on n’y met bon ordre, va disparaître !

Venise est vraiment menacée, et si les architectes et les ingénieurs appelés au secours de la Cité des Doges ne trouvent pas le moyen de raffermir son sol mouvant et de consolider ses pilotis, si la science invoquée n’accourt pas en aide à l’art qui titube, la Reine de l’Adriatique aura le sort de la ville d’Ys, mais il n’y aura pas besoin de renverser la digue de Malamoco. Pour submerger la République.

Venise s’enfoncera d’elle-même dans la vase séculaire de ses canaux. Il y a déjà des siècles que son sol s’affaisse.